Mamta Carroll : Chaque patient représente un monde à lui seul
Mamta supervise les programmes de Smile Train de l'Égypte aux Philippines, mais voit le monde entier dans le sourire de chaque enfant.
Mamta Carroll habite en Inde et est la Vice-présidente principale et Directrice régionale de Smile Train pour l'Asie. Nous l'avons rencontrée en février 2020 pour discuter de son rôle chez Smile Train, de ses meilleurs souvenirs en plus de 13 ans et demi avec l'organisation, Smile Pinki, de l'avenir des soins pour le traitement des fentes en Asie du Sud et bien plus encore.
Comment avez-vous rejoint Smile Train?
J’ai travaillé dans les communications corporatives, mais j’ai toujours rêvé de rejoindre une organisation qui fait vraiment du bien. Alors, quand j'ai vu une publicité pour Smile Train dans un journal, je me suis dit : « Oh, wow, c'est intéressant », et j'ai fait quelques recherches et j'ai appris ce qu'est une fente, car à ce moment-là, je n'en avais aucune idée. Je n'avais jamais vu d'enfant qui en avait, je ne savais rien du tout sur le sujet.
J’ai ensuite appris qu’environ 35 000 enfants naissaient chaque année en Inde avec une fente et cela m’a vraiment bouleversée. J'ai donc suivi le processus de candidature pour un poste, j'ai été sélectionnée et c'est à ce moment-là que mon parcours a commencé. C'était en octobre 2006. Ce fut une expérience formidable et je n’ai jamais regardé en arrière.
Comment décrivez-vous votre travail?
J'ai commencé en tant que Gestionnaire de programme, mais je suis maintenant Vice-présidente senior et Directrice régionale pour l'Asie. Je fais beaucoup de choses dans ce rôle : ma principale responsabilité concerne les programmes, mais je supervise également les communications et la collecte de fonds, ainsi que la gouvernance et la conformité pour les 19 pays de la région où Smile Train est présent. J'espère qu'il y en aura bientôt plus de 19, car je cherche toujours à étendre et à développer notre présence dans de nouveaux pays également.
Mon équipe de 18 personnes et moi-même supervisons environ 75 000 interventions chirurgicales chaque année sur une zone qui s’étend des Philippines à l’Égypte et comprend l’Asie du Sud et du Sud-Est, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. En termes de présence mondiale, ma région contribue à 70 à 80 % des interventions chirurgicales réalisées par Smile Train.
Ce sont parmi les pays les plus pauvres dans lesquels Smile Train intervient, mais aussi parmi ceux où l’impact est le plus tangible, car ici, vous pouvez réellement entrer en contact direct avec les bénéficiaires et leurs familles, cela fait toute la différence. Lorsque vous rencontrez un enfant et sa famille, vous comprenez que chacun d’entre eux représente un monde à lui seul. Vous oubliez votre titre, le nombre de pays que vous gérez et tout le reste — votre travail consiste simplement à aider cet enfant qui se tient devant vous, et c’est ça, votre quotidien. Pour moi, ce petit enfant, dont la vie et celle de sa famille se transforment, c’est mon objectif. C’est ma mission. Si je peux changer une vie, alors j’ai accompli mon travail.
Y a-t-il des patients que vous avez rencontrés qui se démarquent particulièrement?
Absolument! J'en rencontre tellement chaque jour. Je sais que Pinki [vedette du court-métrage documentaire Smile Pinki de Smile Train, récompensé par un Oscar®] est l'une de nos patientes les plus célèbres, mais j'ai vu cette petite enfant dès le jour où elle est venue pour la première fois pour une chirurgie de la fente, quand elle avait six ans et maintenant elle en a 17. Cette enfant est incroyable et j'ai vu toute son histoire, comment cette petite fille qui ne sortait pas pour jouer, qui ne pouvait pas parler correctement, qui ne pouvait pas manger correctement, qui était taquinée tout le temps, est devenue une si belle jeune femme. Et elle est tellement confiante – elle a appris à son père comment utiliser son téléphone portable, y compris WhatsApp et prendre des photos et elle joue au badminton – elle veut devenir championne de badminton. J’ai vu toute sa transformation, de qui elle était à qui elle est aujourd’hui et il y a tellement de patients comme ça.
En voici un autre. Dans le même hôpital partenaire où Pinki a reçu sa chirurgie, GS Memorial Varanasi, j'ai vu un petit bébé avec une fente palatine qui était tout recroquevillé et pleurait. Sa mère essayait de le nourrir et elle était extrêmement inquiète, car elle pensait que son enfant souffrait. En fait, c’était juste le manque de lait. Notre intervention commence à ce moment précis, car nous enseignons aux mères comment nourrir leurs enfants afin qu'ils puissent absorber les nutriments dont ils ont besoin. Nous ne pouvons pas effectuer une chirurgie de la fente tant que l'enfant n'est pas correctement nourri et n'atteint pas un poids santé.
Ce fut un moment très marquant pour moi — après la formation, la mère est venue me voir, les larmes aux yeux et m'a dit que ce n'était pas seulement le traitement de la fente, mais tout ce que Smile Train fait : « Vous m'avez appris à m’occuper de mon enfant, à nourrir mon propre enfant! » Je ne peux pas vous exprimer la puissance de ce moment — conseiller les parents et les informer, c’est toujours très significatif pour moi.
Que dites-vous lorsque vous rencontrez la famille d’un patient pour la première fois?
Je les rassure. Je leur dis que nous serons là pour vous aider à vous informer sur les meilleures options de traitement pour la fente de votre enfant. Nous faisons ensuite appel à un conseiller en nutrition qui leur donnera les connaissances nécessaires pour que l'enfant puisse atteindre un poids santé pour la chirurgie. L’accompagnement et les conseils sont très importants : bien souvent, l’enfant est trop jeune pour savoir ce que les gens disent à propos de sa fente, mais ses parents et sa famille immédiate le savent.
En milieu rural dans les pays défavorisés, la naissance d’un bébé avec une fente entraîne souvent une forte ostracisation. Les familles sont pressées d’obtenir un traitement au plus vite. Nous faisons donc beaucoup d'accompagnement et rassurons la famille en confirmant que chirurgie aura lieu, mais que l’enfant doit d’abord atteindre le poids approprié.
Quels sont les plus grands défis auxquels sont confrontés les soins pour les fentes en Inde et comment Smile Train les relève-t-il?
Je pense que le plus grand défi auquel est confronté le traitement des fentes en Inde est, sans aucun doute, le manque de sensibilisation. Aujourd'hui, même après 20 ans de travail en Inde et plus de 600 000 interventions chirurgicales effectuées dans le pays, je pense toujours qu'il s'agit d'un manque de sensibilisation. Nous avons 150 hôpitaux partenaires à travers le pays et nous les aidons tous à accroître la sensibilisation et à atteindre les communautés localement. Nous sommes également présents dans chaque État du pays et dans 110 villes. Mais lorsque vous parlez à des gens instruits dans les grandes zones métropolitaines — Delhi, Bombay, Calcutta et partout ailleurs — et que vous leur posez des questions sur les fentes, leur sensibilisation est absolument négligeable. Ils n'ont jamais vu de fente, ils n'ont jamais entendu parler d'une fente, ils ne savent pas que c'est une différence de naissance, ils ne savent pas que cela peut être traité, rien du tout. Dans ces endroits, il faut tout recommencer à zéro.
Avez-vous remarqué un changement d’attitude envers les personnes avec des fentes dans votre région depuis que vous travaillez avec Smile Train?
Je pense que c'est un travail en cours. Je ne dirais pas que tout est complètement terminé et que les gens n'attribuent plus les fentes à toutes ces superstitions. La stigmatisation existe toujours, c'est la réalité. Nous pouvons ressentir une satisfaction temporaire d'avoir abordé le problème, mais je pense qu'il reste encore un long chemin à parcourir. Dans de nombreuses zones tribales, où la population ne se rend généralement pas dans les centres urbains, il existe encore de nombreuses superstitions – et c'est aussi là qu'il est le plus difficile d'atteindre les gens, de changer leur état d'esprit et leurs attitudes. La chirurgie est souvent la partie la plus facile, n’est-ce pas? Parce que lorsque le patient arrive, vous faites une chirurgie et ensuite il quitte. Ce qui est beaucoup plus difficile, c’est d’aborder la question, de conseiller et de changer les croyances et les mentalités des individus afin qu’ils sachent qu’une fente est une condition médicale et que le médecin les aidera. Cela prend beaucoup de temps. Cela nécessite beaucoup d’éducation et de nombreuses rencontres individuelles avec les agents de santé et les travailleurs sociaux. Il faut leur montrer des exemples, les faire parler à des gens qui sont peut-être un peu plus instruits, qui ont eux aussi un enfant avec une fente et qui ont bénéficié des services de Smile Train.
Les associations de parents d’élèves ont été d’une aide précieuse à cet égard. Lorsqu'une mère d'un enfant avec une fente, vivant dans la plus grande ville de l'État, rencontre une mère très pauvre qui vit avec une croyance superstitieuse concernant l'origine de la fente de son enfant et lui dit : « Non, ce n'est pas la cause du problème. C’est un problème médical qui aurait pu arriver à n’importe qui », c’est cela qui a le plus d’impact.
Nous travaillons en étroite collaboration avec la CIPA, l’Association des parents d’enfants avec une fente en Inde et les départements de santé du gouvernement local sur des programmes comme celui-ci. Ils forment leurs agents de terrain, notamment des femmes, pour transmettre le message et dire aux autres femmes que les fentes n’ont aucune origine superstitieuse.
Où voyez-vous les soins et la sensibilisation pour les fentes en Inde dans 10 ans? Comment voyez-vous le rôle de Smile Train dans tout cela?
Je pense que nous avons parcouru un long chemin en 10 ans et au cours des 20 ans que nous avons passés en Inde. Comme je l’ai dit, je pense que c’est toujours un travail en évolution, car 35 000 enfants avec des fentes naissent chaque année. Donc, au cours des 10 prochaines années, nous devrons effectuer des chirurgies et offrir des soins complets à un rythme encore plus élevé qu’aujourd’hui pour répondre à cette demande.
Pour sensibiliser, je pense que nous devrons nous concentrer davantage sur la sensibilisation aux initiatives menées par Smile Train, indépendamment de nos hôpitaux partenaires. Les hôpitaux font un excellent travail, mais c’est notre responsabilité de diffuser des initiatives cohérentes de sensibilisation, de renforcement de la réputation et de l’image de marque au niveau central et national. Les hôpitaux locaux s’efforcent de sensibiliser les gens aux fentes, mais utilisent leurs propres messages locaux. Oui, dans tout cela, ils nous incluent avec notre image de marque, mais si nous voulons vraiment développer la notoriété de notre marque, nous devons être cohérents et c'est sur cela que mon équipe travaille. Ainsi, au cours des 10 prochaines années, je verrai probablement davantage de ces initiatives nationales émerger, ainsi que des initiatives de financement participatif et de sensibilisation du public menées par le bureau de Smile Train Inde.
Au-delà des chirurgie pour les fentes, je prévois également une expansion des soins complets pour les fentes. Je trouve dommage que sur les 150 partenaires que nous avons en Inde, seulement 15 à 16 d'entre eux proposent présentement des formes non chirurgicales de soins pour le traitement des fentes, comme des consultations en orthophonie ou une aide nutritionnelle. Je veux doubler ce chiffre, voire plus, au cours des trois prochaines années, puis le doubler encore dans les années suivantes afin que dans 10 ans, tous mes partenaires offrent des soins complets. C’est l’objectif.
Quelle est la partie de votre travail que vous préférez ?
La partie que je préfère dans mon travail est de parler aux parents et d’établir un lien de confiance avec un patient ou un autre. Rien n’est plus gratifiant que de leur parler, de les conseiller, puis de voir leur vie se transformer après une chirurgie d’une heure. C'est ce que je préfère : aller au domicile d'un bénéficiaire, m'asseoir avec lui et discuter pour établir un lien de confiance, puis l'aider et voir la transformation - non seulement la voir, mais aussi la ressentir, les émotions éprouvées avant une chirurgie. Puis ressentir ce qu’ils vivent après la chirurgie et profiter du moment avec eux. Je pense que c'est le but. Vous pouvez consulter les statistiques et tout cela, mais à ce moment précis, lorsque vous rencontrez réellement le patient et sa famille, rien d’autre n’a d’importance.